Le portail d'Halloween, par Stéphanie Delaume


 Le portail d’Halloween
par Stéphanie Delaume




 

On raconte qu’il existe un portail particulier qui, une fois par an, vous rend très spécial. Et qui ne le voudrait pas ? Rien qu’une fois se sentir plus belle, plus appréciée ? La grand-mère d’Anabelle lui avait raconté cette histoire maintes fois. La forêt qui se trouvait en face de leur maison était chargée d’histoires. C’est là-bas, le siècle dernier, qu’avait eu lieu le plus sanglant des combats. Aujourd’hui il ne restait plus que quelques légendes qui avaient traversé le temps en souvenir de ce qu’il s’y était passé. Sa grand-mère lui avait raconté qu’elle pouvait ressentir les âmes de ces pauvres victimes, mortes pour la liberté des générations futures. Blessées et torturées pour que l’on puisse aujourd’hui se balader librement dans ces grands bois. Avec toute cette souffrance n’était-il pas normal que leurs âmes continuent à errer ? 

Sa grand-mère maternelle habitait avec Anabelle et ses parents depuis maintenant cinq ans. Cinq longues années que la jeune fille de quinze ans entendait son père râler combien il ne se sentait plus chez lui, tandis que sa grand-mère ne demandait rien d’autre que de rentrer chez elle. Son corps l’avait abandonnée depuis bien longtemps, et elle sentait que son esprit commençait à lui échapper. Le père d’Anabelle n’avait jamais particulièrement apprécié sa belle-mère. Il ne se gênait d’ailleurs pas pour la traiter de sorcière. Au contraire, la jeune fille était attirée par son côté mystique, elle lui trouvait un pouvoir digne d’un autre monde. Peut-être était-ce simplement le fait d’écouter ses histoires recelant de magie et de fantaisie, qui lui faisaient oublier combien son quotidien la rendait malheureuse ? Car elle se sentait terriblement seule. Cela faisait bien longtemps qu’elle n’avait plus eu de copine. Ses camarades de classe passaient leur temps à se moquer d’elle. Elle était leur souffre-douleur. Tout comme ces soldats qui avaient subi des douleurs qu’ils ne méritaient pas. 

Anabelle n'était pas spécialement laide, c’était juste qu’elle ne savait pas se mettre en valeur. Des cheveux longs bruns qui partaient dans tous les sens, des yeux noisette mais cachés par ses épaisses lunettes qui lui donnaient un air de grand-mère. Elle portait des vêtements trop grands, trop amples dans l’espoir de disparaître, avalée par ces tissus démesurés. Ses camarades avaient des ongles toujours bien vernis. Les siens étaient rongés jusqu'à la peau, mais cela ne ferait aucune différence car ses parents ne pourraient de toute manière jamais se permettre de lui payer chaque mois une nouvelle manucure. Ses parents cumulaient deux boulots chacun, surtout depuis le jour où son père avait utilisé l’argent emprunté à la banque pour le risquer en bourse. Le plan de départ avait été de construire une écurie rattachée à leur maison. Ils voulaient transformer la grange qui tombait en ruine en écurie de luxe où les plus fortunés leur confieraient leurs chevaux en pension. A l’époque Anabelle avait passé énormément de temps avec son père l’aidant dans l’élaboration des plans. Ils étaient plus proches que jamais. Et du jour au lendemain, il était devenu plus distant, constamment sur son téléphone et stressé. Ils ne mangeaient plus ensemble et son père partait souvent de longues heures et rentrait avec une mine défaite, les yeux rougis et les joues creusées. Sa mère pensait qu’il la trompait ou se droguait, jusqu’au jour où il n’avait plus eu le choix que de tout avouer. Un de ses anciens amis avec qui il avait été dans l’armée l’avait contacté pour lui proposer d’investir dans des actions qui avaient fait leurs preuves et étaient sûres à 99%. Sauf qu’elles s’étaient écroulées du jour au lendemain et avec eux tout le financement pour la construction de leurs rêves. Sans oublier les pénalités et les amendes bancaires. C’est ce jour aussi qu’Anabelle était devenue la honte de leur village. Et ses amies avaient elles aussi disparu avec l’argent.

Aujourd’hui avait été une journée particulièrement difficile. Deux jours avant son seizième anniversaire, Leila, la déléguée de sa classe et probablement la fille la plus belle de toute l’école, s’était particulièrement acharnée sur elle. Anabelle avait eu le malheur de se retrouver en même temps qu’elle dans les toilettes. Le groupe de filles qui suivait Leila comme des petits chiens avait bloqué sa porte. Elle dû prendre sur elle pour ne pas se laisser submerger par une crise de panique. Anabelle craignait ce dont ces filles étaient capables et elle avait raison. Elle n’était enfermée que depuis quelques minutes lorsqu’elle se prit un seau d’eau sur la tête. Les filles avaient profité d’une ouverture en haut des portes des toilettes pour la mouiller. Anabelle poussa un cri d’effroi et mit ses bras au-dessus de sa tête pour se protéger mais trop tard. Elle était complètement trempée, ses cheveux lui collaient au visage, elle ne voyait plus rien à travers ses lunettes et ses habits lui collaient à la peau. 

   Anaanaabelle, appela Leila, sors donc qu’on puisse te voir !

Toutes les filles éclatèrent de rire, un rire maléfique. Les larmes redoublaient le long de ses joues, se mélangeant à l’eau qui avait servi à récurer les toilettes. La jeune fille empestait la javel et le produit commençait à lui irriter la peau. Elle se détestait. Son vœu le plus cher était de disparaître. Anabelle attendit un long moment, silencieuse dans les toilettes et lorsqu’elle fut certaine que les filles soient parties, elle ouvrit doucement la porte et attendit encore pour être sûre qu’il n’y avait plus personne. Elle se dépêcha de sortir et lorsque son regard croisa son reflet dans le miroir elle ne put retenir de nouvelles larmes. Elle était hideuse, rougie et collante. Anabelle n’avait qu’une pensée : rentrer le plus vite possible chez elle pour se doucher et se terrer au fond de son lit. Elle ouvrit la porte qui donna sur le couloir et elle s’arrêta horrifiée. Tous ses camarades l’avaient attendue, portable à la main prenant des photos d’elle.

   Ha ha ha, je vois que ta véritable beauté a été révélée, se moqua une des filles du groupe de Leila.

   Eh ! La serpillère, appela une autre fille, fais un sourire pour la caméra !

Elle croisa une fraction de seconde le regard de Luc, le capitaine de l’équipe de foot. Un regard vert qui faisait craquer toutes les filles, un physique attrayant et sec mettant en avant chacun de ses muscles. Elle crut entendre sa voix :

   Laissez la tranquille, vous êtes pire que des gamins.

Les moqueries résonnaient dans la tête d’Anabelle, elle se fraya un chemin vers la sortie. Elle courut sans s’arrêter jusqu’à ce qu’elle soit chez elle où elle laissa libre cours à son chagrin. 

   Oh ma chérie, que s’est-il passé ? demanda sa grand-mère.

Elle s’effondra dans ses bras.

   Je n’en peux plus, ils passent leur temps à me faire du mal, ils sont tellement cruels. 

Ses sanglots redoublèrent. 

   Va te doucher, je te prépare un chocolat chaud. Et tu me raconteras tous les détails.

Anabelle monta les marches d’escalier en reniflant, essuyant sa morve sur la manche de son pull. Elle se déshabilla, jeta tous ses habits dans la poubelle et resta un long moment sous le jet brûlant de la douche. Elle dû se savonner deux fois pour arriver à faire disparaitre l’odeur de javel. Une fois séchée elle s’emmitoufla dans un peignoir moelleux rose et blanc, attacha ses cheveux en un chignon sur le haut de son crâne et seulement à ce moment s’autorisa à regarder son reflet. Ses yeux étaient rougis par ses larmes, ses joues bouffies et encore légèrement rouges. Elle baissa les yeux et rejoignit sa grand-mère dans le salon qui l’attendait avec deux tasses fumantes.

   Ma chérie viens t’asseoir à côté de moi. 

Elle la prit dans ses bras et lui déposa un baiser sur le front. Elles restèrent ainsi un long moment.

   J’aimerais tant pouvoir te prendre ta douleur, murmura sa grand-mère. 

Anabelle sentit son parfum de jasmin, une odeur qui l’avait toujours calmée. La vieille dame, malgré son grand âge était encore une très belle femme, ses cheveux étaient attachés en une longue natte sur le côté, ses grands yeux bleus débordaient de bienveillance. Elle avait un corps fin, seul ses doigts noueux rappelaient son arthrose.  

   J’ai connu, il y a fort longtemps une jeune fille qui était elle aussi horriblement triste, commença sa grand-mère, c’était ma meilleure amie.

   Elle s’appelait Marie-Rose mais je l’appelais toujours Rose car je trouvais qu’elle avait la beauté de cette fleur. Discrète et timide, il fallait la connaître pour voir sa vraie valeur. Rose était aussi constamment harcelée par nos camarades. Jusqu’au jour où ils étaient allés trop loin, ils avaient réussi à la briser. Et pourtant elle avait été tout comme toi une personne très forte. Surmontant les moqueries et s’accrochant à son optimisme. 

Sa grand-mère marqua une pause, un voile de tristesse troubla son regard.

   Et que s’est-il passé ? demanda Anabelle.

   La veille de ses seize ans elle est allée dans la forêt. Rose m’avait suppliée de l’accompagner, elle voulait trouver le « portail ». Mais j’étais bien trop effrayée pour la suivre la nuit dans les bois. Et c’est aujourd’hui mon plus grand regret, même si ce fut la dernière fois que quelqu’un l’avait embêté à l’école, car le lendemain lorsque je l’ai revue ce n’était plus Rose. Son âme avait changé. 

   Un portail ? demanda sa petite fille.

   Rose est née le même jour que toi, le jour d’Halloween. Et comme tu le sais nous vivons dans un endroit chargé d’histoire. 

Elle se tourna vers la fenêtre en face du canapé et le regard dans le vague expliqua :

   C’est dans ce champ juste devant nous qu’a eu lieu la plus sanglante des batailles que ce monde ait connu. Les générations suivantes ont fini par ensevelir le passé, voulant oublier l’atrocité dont ces hommes avaient été victimes, mais surtout ils voulaient enterrer la barbarie dont leurs ennemis avaient fait preuve lors de cette guerre. 

   Ma maman, donc ton arrière-grand-mère, venait de naître continua la vieille dame, pointant la fenêtre en face d’elles, tu vois le champ en contrebas ? 

Anabelle n’osait répondre de peur d’interrompre sa grand-mère sur sa lancée. 

   A l’époque il n’y avait que des tranchées qui composaient majoritairement le paysages. Le vert de l’herbe était couvert du sang des soldats qui combattaient sans relâche. La nuit on pouvait entendre des hurlements de douleur et de terreur. Il y eu ici tellement de cruauté que les âmes des défunts continuent encore aujourd’hui de roder. Incapables de trouver la paix. 

   On raconte, murmura sa grand-mère, qu’une fois par an, le jour d’Halloween, nos mondes se croisent. Les gens d’ici, s’ils arrivent à trouver le portail où errent les âmes torturées, peuvent leur demander de l’aide. Et je pense que Rose l’avait trouvé.

Anabelle l’écouta attentivement. Et pleine d’espoir lui demanda :

   Mais c’est super ! et Rose t’avait dit ou il se trouvait ce portail ?

Sa grand-mère la regarda tristement.

   Tu sais ma chérie, fréquenter une âme qui fut si longtemps torturée n’apporte rien de bon. Rose avait été avant cette nuit-là une personne rayonnante et malgré la douleur qu’on avait pu lui infliger, son âme était d’une pureté incroyable. Mais après cette expérience, son regard n’était plus le même. Son aura était devenue tellement sombre, au point d’en effrayer les plus grands harceleurs de notre école. C’est d’ailleurs à ce moment-là que j’avais pris mes distances.

   Mais le harcèlement s’est arrêté pour elle, répliqua Anabelle.

   Oui, mais à quel prix ?

La jeune fille était perdue dans ses pensées, une journée d’école sans moqueries et sans larmes, le rêve !

Son portable n’arrêtait pas de vibrer. 

   Qui est-ce ? demanda sa grand-mère

Anabelle avait reçu trois messages :

« Je suis désolé pour le comportement des autres… »

« C’est des cons »

« Luc »

   Euh… c’est maman qui me demande si tout va bien, menti-t-elle.

Elle se leva du canapé et se dirigea vers sa chambre située en face de l’escalier. Sa grand-mère sentit son cœur se serrer car elle savait que sa petite fille venait de lui mentir. Une fois installée sur son lit elle tapa sur son portable :

 

Anabelle :

« Que me veux-tu ? Je pense que toute l’école s’est suffisamment moquée de moi, tu ne trouves pas ?»

Luc :

« Tu as raison, elles n’avaient pas le droit de te faire ça  »

Anabelle :

« Où as-tu eu mon numéro ? »

Luc :

« J’ai graissé la patte à la grosse secrétaire pour voir ton dossier scolaire… »

Anabelle sourit en voyant ce dernier SMS, mais comment se faisait-il qu’une personne comme lui s’intéressât à elle ? Elle restait toutefois sur ses gardes, mais ne pouvait s’empêcher d’espérer un répit, un doux moment de bonheur. Après tout ce qu’elle venait de vivre elle y avait droit non ? Elle passa les prochaines heures scotchée à son portable, même à table elle mangeait par automatisme. Complètement focalisée sur son écran, rigolant de temps en temps.

   Tu veux nous faire partager ce qui te rend de si bonne humeur ? demanda sa mère.

Anabelle rougit et balbutia quelques mots :

   Ce n’est rien, juste un garçon…

   Ah oui ? et il s’appelle comment ?

   Arrête maman, ce n’est trois fois rien…

   Peut-être mais ce jeune homme a réussi à te faire rire, cela fait bien longtemps que je n’avais plus vu de sourire sur tes lèvres…

   Je peux sortir de table ?

   Mais je nous ai ramené du dessert, renchérit sa mère

   Je le mangerai plus tard, promis, lui répondit Anabelle les yeux remplis d’étoile.

Elle se dépêcha de monter à l’étage retrouver son lit, s’y allongea et se replongea corps et âme dans la discussion avec Luc. Ce dernier se confia à elle, lui expliquant qu’il se sentait coincé dans son rôle de capitaine d’équipe. Et malheureusement cela impliquait une image qui ne reflétait pas du tout son caractère où ses valeurs. 

« Imagine que les gens apprennent que j’adore mon chat ! que je préfère lui faire des câlins plutôt que de me moquer des autres ? T’imagines l’image qu’ils auraient de moi ? » lui écrit-il.

Quelques secondes plus tard Anabelle reçut une nouvelle notification de Luc. Une image. Elle se redressa, ses pensées tournoyaient dans sa tête. Tremblante elle appuya sur l’icône. C’était une photo de lui, torse nu faisant un câlin à son chat. Ses yeux vert émeraude brillaient de malice. Un sourire charmeur avec des fossettes au niveau des joues. Une mèche de ses cheveux noir lui tombait dans les yeux. Son chat était majestueux, un main-coon dans toute sa splendeur. D’un noir profond comme les cheveux de Luc, une grande tête avec des yeux jaune et des pattes imposantes. Elles ressemblaient plus à celles d’une panthère qu’à celles d’un chat. Anabelle sentit que cette photo lui créait des papillons dans le bas de son ventre. 

« Mon Dieu, qu’il est beau » ne pouvait-elle s’empêcher de penser.

Ils s’envoyèrent des SMS jusque tard dans la nuit. Elle était étonnée de découvrir sous sa carapace un côté si sensible et attentionné. Luc trouvait les bons mots pour apaiser son cœur. Il avait même fini par la convaincre de revenir en cours le lendemain. 

Anabelle s’était réveillée tôt car elle voulait avoir suffisamment de temps pour se préparer. Elle choisit ainsi un haut moins ample et plus clair que d’habitude. Elle était nerveuse à l’idée de retourner à l’école après l’incident avec Leila mais un message de Luc dès son réveil l’avait rassurée. Elle ne put toutefois s’empêcher de baisser la tête dès qu’elle eut franchi la cour. La jeune fille fut soulagée de voir que personne ne prêtait plus attention à elle que ça. Lorsqu’elle ouvrit son casier un mot de Luc lui tomba dans les mains :

« Je me réjouis de te revoir ! Retrouve-moi à 21heures devant la fontaine de la Place Éternelle »

Elle sourit en lisant ces quelques mots et le garda précieusement contre elle.

La journée lui paraissait interminable tant elle attendait avec impatience son rendez-vous de ce soir. Et finalement la journée s’acheva sans autre incident. Elle recevait régulièrement des sms de Luc qui l’aidaient à patienter jusqu’au soir.

Une fois rentrée elle choisit une robe à fines bretelles qu’elle emprunta à sa mère. D’un violet pâle avec des petites fleurs blanches, elle lui arrivait au-dessus des genoux. L’été durait maintenant jusqu’à mi-novembre. Sa mère disait souvent en plaisantant qu’un jour ils fêteront Noël en maillot de bain.  Elle s’assit sur le rebord de la grande fontaine en attendant Luc. Il arriva au bout de quelques minutes, vêtu d’un t-shirt bleu clair qui contrastait avec sa peau brunie par ces longs mois d’été. Un sourire aux lèvres, il la salua en lui déposant un baiser au coin de ses lèvres. Le cœur d’Anabelle loupa un battement à ce contact. Il lui avait d’ailleurs ramené un milkshake à la fraise, son préféré. Elle avait craint qu’un malaise apparaisse mais il n’en fut rien. C’est tout naturellement que Luc lui prit la main et ils firent quelques pas en direction du parc derrière la fontaine. Il l’entraina dans un coin un peu à l’écart ou il avait préparé une couverture au sol entourée de petites bougies.  Ils parlèrent de longues heures, et le temps filait à grande vitesse. Anabelle était enveloppée d’un sentiment de bien-être et une chaleur se formait dans le bas de son ventre chaque fois que Luc posait ses mains sur elle. Le champagne que Luc lui servait lui faisait tourner la tête, taisant les pensées qui la mettaient en garde. Puis tout s’accéléra. Luc l’allongea sur la couverture, l’embrassa dans le cou et commença à baisser les bretelles de sa robe.

   Non…attends, murmura-t-elle d’une voix à peine audible. 

Elle essaya de se redresser sur les coudes mais un nouveau baiser de Luc l’en empêchait.

Puis une pluie de flashs éblouit Annabelle alors que des rires sournois jaillir de partout.

   Tu veux une vidéo de ta première fois ? lança la voix de Leila, ce qui raviva les moqueries. 

   Tu es trop sexy, j’ai tellement envie de toi… dit Luc en feignant de vomir. 

Anabelle remonta ses bretelles, rassembla ses affaires et le peu de dignité qui lui restait. Elle traversa aussi vite que possible le parc totalement inconsolable.

 

Ce soir-là elle trouva difficilement le sommeil et le lendemain elle dut rassembler son courage. Comment retourner en cours après cela ? Et en plus c’était le jour d’Halloween. Le jour de LA soirée dont tout le monde parlait. Chaque année Leila et sa bande organisaient une fête exceptionnelle où elle avait toujours rêvé d’aller. Elle avait vu des photos sur les réseaux sociaux qui lui avaient donné un aperçu de l’ampleur de la fête. Leila et ses parents habitaient dans une magnifique villa décorée dans le thème d’Halloween. Dommage ce ne sera encore pas pour cette année !

 

Elle franchit l’entrée de l’école angoissée. Elle remarqua tous ces élèves qui se retournaient sur elle. Le groupe de Leila avait parlé. Évidement ! Pourquoi ne pouvait-elle pas aller à l’école comme les autres filles de sa classe ? Elle serra son sac contre elle. Pas de Leila en vue pour le moement. 

Mais arrivée devant son casier, elle crut que le sol se dérobait sous elle. Il y avait une photo d’elle prise la veille, un sein découvert. 

Les larmes lui montaient dans les yeux. Elle se retourna pour voir si quelqu’un avait vu cette photo avant son arrivée. Et c’est là qu’elle remarqua les messes basses à son encontre. Cette fois c’en était trop. Anabelle avait l’impression que son cœur venait de voler en éclat. 

Elle s’enfuit en courant vers la sortie, la photo toujours à la main. Comment pouvait-on être aussi odieux ? C’était logique que tout cela n’avait été qu’un piège et Anabelle était tombée à pieds joints dedans. Elle voulait disparaître, que cette douleur s’arrête une bonne fois pour toute ! Elle ne s’arrêta de courir qu’une fois arrivée dans la forêt. Et quand elle reprit son souffle elle hurla de toutes ses forces se laissant tomber à genoux. Une personne ne pouvait supporter qu’une certaine quantité de douleur et pour Anabelle c’était la limite. Le simple fait de respirer lui faisait mal, elle était en état de choc, revoyant sans cesse les images de ses camarades se moquant d’elle. Encore et encore. Elle sentit son cœur se compresser de douleur. Elle tremblait de tout son corps, des sueurs froides la parcouraient de la tête aux pieds et ses sanglots redoublèrent rendant sa respiration difficile. Mais cela lui était complètement égal. La jeune fille se releva, regarda la photo dans sa main. Elle se sentait tellement sale, humiliée et trahie. Elle marchait sans but dans la forêt, errant tel une âme en peine. C’était le brouillard dans sa tête mais elle continuait d’avancer. Elle trébucha sur une racine lui écorchant le genou. Des gouttes de sang perlaient le long de sa jambe. Elle les ramena vers sa poitrine les entourant de ses bras, cherchant à se réchauffer du vide qui l’enlaçait depuis que son cœur avait volé en éclat. Elle fredonnait une chanson, celle que sa grand-mère lui chantait quand petite elle était malade. Elle avait déjà à l’époque le don de la calmer. Complètement exténuée d’avoir tant marché mais surtout vidée par toutes ses larmes versées, Anabelle s’allongea à même le sol sur un tapis de feuilles. Le jour déclinait laissant place aux étoiles qui petit à petit apparaissaient dans l’immensité du ciel. Des lueurs d’espoirs commençaient à faire timidement leur apparition. Mais Anabelle était trop aveuglée par sa douleur pour s’en rendre compte. Elle ferma les yeux en quête d’un répit sans rêve. Mais soudain une vive lueur la sortie de sa torpeur. Elle se redressa tant bien que mal et chercha l’origine de cette lumière. Elle ne fit que quelques pas lorsqu’elle la découvrit :

« Le portail », pensa-t-elle. Les paroles de sa grand-mère résonnaient dans sa tête. Cette histoire qu’elle lui avait maintes fois raconté et qu’elle connaissait par cœur.

« Au matin du jour d’halloween un portail apparaît dans la forêt des âmes. Et si une personne a un vœu qui lui est très cher, il pourra être exaucé. » 

   Je vais pouvoir prendre ma revanche sur chacune des personnes qui se sont moquées de moi ! se jura Anabelle le cœur rempli de colère.

Le portail ressemblait à un miroir inversé : elle voyait son reflet mais lorsqu’elle levait le bras droit son double lui montrait qu’elle levait le bras opposé. Le contour du miroir était gravé de hiéroglyphes, de symboles en tout genre qu’elle n’avait jamais vu. A l’exception d’un seul. Sa grand-mère au cours de ses histoires lui avait dessiné ce symbole qui représentait une lune à l’envers avec un serpent qui forme le symbole de l’infini, la tête mordant sa queue. C’était la seule fois que les récits de sa grand-mère lui avaient fait peur. En dessinant le symbole, elle était entrée dans une sorte de transe allant jusqu’à révulser ses yeux, elle avait murmuré des mots dans une langue inconnue. Quand cette dernière était redevenue « normale », ses yeux exprimaient l’effroi à l’état pur. Jamais Anabelle n’avait vu sa grand-mère terrorisée à ce point, lui faisant promettre de ne jamais s’en approcher. La vieille femme lui avait aussi juré qu’un jour tout allait s’arranger pour elle, alors qu’aujourd’hui elle touchait le fond. Elle se détestait au plus haut point, son corps, sa vie entière. Elle n'arrivait même plus à chérir l’amour que lui portaient ses parents, la jeune fille voulait changer de vie, peu importe le prix. C’est en revoyant la scène de ce matin, en se remémorant la douleur qu’elle avait ressenti qu’elle franchit le portail avec une seule pensée : « À n’importe quel prix, tout sauf cette vie ».

Une fois de l’autre côté, c’est pleine d’espoir qu’elle regarda autour d’elle jusqu’à ce qu’elle baissât les yeux sur ses mains. Elles étaient translucides, tout comme le reste de son corps. Anabelle était devenue aussi transparente qu’un fantôme. Paniquée elle se retourna et vit son corps de l’autre côté se tenant droit, le regard vide tel une coquille. Et soudain, un spectre s’approcha. Elle portait un uniforme d’infirmière, mais pas comme celles d’aujourd’hui, plutôt du siècle dernier : une blouse blanche pardessus sa jupe avec des collants opaques. Ses cheveux bruns étaient attachés en chignon au creux de sa nuque avec une coiffe blanche sur le dessus de sa tête. Elle portait un brassard avec une croix rouge. Elle se tourna vers Anabelle et lui murmura :

   Merci…

La jeune fille n’eut pas le temps de répliquer que ce fantôme s’infiltra dans le corps d’Anabelle accompagné d’une vive lumière blanche. Elle essaya de retraverser le portail mais sans succès. Elle tapa des poings contre la paroi mais rien ne bougea. Anabelle ne pouvait qu’observer son corps être possédé par une autre « personne », une nouvelle âme. L’infirmière regarda à son tours ses mains, se toucha les cheveux. Elle planta ses yeux dans ceux d’Anabelle prisonnière de l’autre côté et lui dit :

   J’ai perdu la vie lorsque je n’avais même pas 20 ans. Souvent je m’étais dit que j’étais née au mauvais moment, au mauvais endroit. Depuis toute petite mes parents m’avaient appris à me réjouir des petites choses, à m’émouvoir devant un coucher de soleil, connaître une journée de paix. Mais plus je grandissais et plus les jours paisibles devenaient rares. Je venais d’avoir 16 ans, lorsqu’on m’envoya au front aux côtés des soldats qui se faisaient massacrer par l’ennemi.

   J’avais connu l’horreur avant d’avoir pu connaître la douceur d’un baiser, précisa la jeune infirmière. Mais je savais que mon devoir était d’aider les soldats. Les conditions étaient inhumaines, et ce qui s’y passait tout autant. L’ennemi ne faisait aucune différence entre nous, qui ne voulions rien d’autre que de sauver des vies. Ils n’ont pas hésité à m’abattre tel un chien simplement parce qu’ils en avaient la possibilité. Je me souviens de ce moment comme si c’était hier, continua-t-elle. J’étais couverte de boue et le froid glacial me transperçait. Je n’avais pas imaginé une fin pareille. Et aujourd’hui je peux enfin reprendre le cours de ma vie, j’attends depuis tellement longtemps qu’une personne se présente ici prête à tout pour abandonner son existence. Nous avions vécu la guerre, subi la faim, le froid, la torture et la maladie. Et pourtant nous nous sommes battus jusqu’à notre dernier souffle et toi tu l’abandonnes volontairement.

Anabelle s’était effondrée à genoux de l’autre côté du miroir, ses joues inondées de larmes. 

   Tu as désormais l’éternité pour regretter ton choix, ou peut-être que dès l’an prochain, lors de la nuit d’Halloween une autre personne se présentera ici et tu pourras prendre son corps.

Sur ces paroles l’infirmière se retourna et marcha en direction du village. Anabelle cria de toute ses forces, mais aucun son ne traversa le portail qui peu à peu se refermait.

 

 

 

 

 

 

FIN

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